Histoire de mots

Les mots permettent tout si l’on veut, la distance ou l’émoi, la grandiloquence ou la simplicité, le discours ardu ou la poésie, la grossièreté ou la délicatesse, la guerre ou la paix.
Ils partent à la recherche de quelqu’un qui les entende et les comprenne, de quelqu’un qui prenne conscience de leur précieuse existence.
Les mots sont porteurs de tous les sentiments et quand on s’emploie à bien les utiliser, ils en profitent pour dénoncer le malheur, la solitude, la souffrance et même la bêtise. Ils laissent plus facilement s’exprimer votre cœur que discourir votre tête.
Alors ils glissent sous vos doigts et s’arrogent le droit de vous interpeller. Ils n’ont pas toujours besoin de s’aligner en vers et en quatrains.
J’ai toujours eu l’idée folle que la prose est une poésie déguisée. Elle avance, masquée au grand carnaval des mots mais elle s’incruste, ne cède pas un pouce de terrain et fait de sa différence sa force.
Alors, je me suis mise dans la tête d’une vieille femme délaissée dans une sorte de mouroir. Je vous laisse lire ce qu’elle pourrait vous dire avec ses mots à elle.
Mes Chéris, mes Amours
Je vous écris une dernière lettre, une que vous lirez peut-être demain au lever du soleil ou dans quelques jours.
Il faut que vous sachiez, ça ne dépend pas de moi. Je vais la cacher sous mon oreiller, je vous promets de m’accrocher à ce qui me reste de vie, même si mes forces m’abandonnent. Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas le temps qu’il fait, je ne sais pas l’heure qu’il est. Je ne sais pas où vous êtes passés, dans quelle bulle inaccessible. J’ai la main qui tremble et le cœur qui va l’amble. J’ai encore tant à vous dire mais quelque chose a interrompu mon histoire.
Hier encore, je pensais vous trouver au bout de mon chemin à l’heure où mon âme s’envolerait dans un lever de nuages. Je rêvais de tenir votre main, d’une caresse sur ma joue flétrie, de vos lèvres délicatement posées sur mon front. J’avais encore pour vous quelques petits cadeaux, des petits riens qu’on appelle souvenirs, d’un mouchoir brodé qui a essuyé vos larmes d’enfants à une photo jaunie sur laquelle on me voit danser avec Grand-Père, de la bague de Maman à un missel fané.
Oui, hier j’ai pensé à vous et ce matin aussi, et encore ce soir. Mais il y a comme un brouillard qui tombe. Mon regard se voile. Vos silhouettes furtives s’évaporent. Je ne vous entends plus. Votre silence me pèse, j’oublie le son de vos voix mais je ne vous oublie pas.
J’ai le souffle plus court et la main qui s’engourdit. Je crois que nous sommes au printemps. Dites-moi alors, pourquoi ai-je, tout à coup, si froid ? Je suis comme la petite fille aux allumettes, au bout de ma boîte.
Je crois que je vais dormir maintenant. Et peut-être, demain, vous serez là…

No Comments

Leave a Comment